vendredi 29 novembre au cinéma Le Lido à 20h
"Marat/Sade" de Peter Brook
"Apprenez à prendre parti, apprenez à vous soulever"

Présentation par Alain Pinochet, cinéphile et Pierre Pradinas, directeur du Théâtre de L’Union

Article mis en ligne le 28 octobre 2013

GB 1967 1h56 vostf

Avec : Glenda Jackson, Patrick Magee, Ian Richardson, Freddie Jones, Michael Williams, Clifford Rose...

D’après la pièce de Peter Weiss : "La persécution et l’assassinat de Jean-Paul Marat interprété par les détenus de l’asile de Charenton sous la direction de Monsieur de Sade"

- Interné à l’asile psychiatrique de Charenton, le Marquis de Sade reconstruit avec les « fous » de l’établissement l’assassinat du révolutionnaire Marat par Charlotte Corday.

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"Marat/Sade" est le cinquième film de Peter Brook, partagé dès ses débuts entre théâtre et cinéma. Il réalise à 19 ans, en 1944, une adaptation du roman de Laurence Stern "A sentimental journey" qui fait scandale, et l’oblige à s’éloigner un temps du cinéma ; la même année il travaille à plusieurs pièces, monte "le Doctor Faustus" de Marlowe, et enchaîne plusieurs projets théâtraux. jusqu’au début des années 60 où il renoue avec la réalisation. Il adapte alors pour le cinéma des œuvres littéraires ("Moderato cantabile" en 1960, "Sa majesté des mouches" en 1963...), sans abandonner le théâtre puisqu’il s’efforce toujours de rapprocher les deux arts.

– Dans le face-à-face Marat-Sade, s’affrontent deux conceptions de la violence, l’une, collective, qui doit mener l’Homme à la conquête de la Liberté et du Bonheur, l’autre, individuelle, qui le conduira à l’autodestruction. L’idéalisme un peu puéril de l’un se heurte au cynisme de l’autre, mais ils se retrouvent dans le même refus de l’ordre établi, le même désir de briser le carcan des règles sociales et morales.

Spectacle subversif par excellence, d’où les nombreuses interventions du Directeur de l’Hospice qui s’efforce de ramener chacun à une plus juste mesure. Tandis que les comédiens improvisés alimentent leurs rôles de leurs propres fantasmes, ce qui accroît la confusion.

Maquillage outrancier, hurlements, violence des mots et des gestes : tout concourt à créer un univers inquiétant qui oscille constamment entre cauchemar et réalité et où tous les excès sont permis. Jusqu’au délire final où les « fous comédiens » se laissent aller à tous les débordements, sous le regard mi-sarcastique, mi-amusé du Marquis de Sade.

« Apprenez à prendre parti. Apprenez à vous soulever » : deux ans avant 68, c’est un bel appel à la révolte qui nous est adressé là. Et l’on reste fasciné devant ce spectacle total, baroque et fou, qui nous donne la nostalgie d’une époque où l’on osait revendiquer le désordre comme triomphe de la liberté.

Sade et le théâtre

Pendant son internement à l’asile de Charenton, entre 1801 et 1814, le marquis de Sade monta plusieurs pièces de théâtre dont les comédiens étaient ses co-internés. Le directeur de l’hospice, M de Coulmier croyant aux vertus thérapeutiques du spectacle sur les maladies mentales, fit construire un véritable théâtre dans l’asile. Les pièces étaient données pour une quarantaine de spectateurs, le plus souvent malades mentaux, choisis parmi les moins agités. Le reste de la salle pouvait recevoir environ deux cents spectateurs, exclusivement recrutés sur invitation.

Très vite, il devint du dernier chic d’être convié aux spectacles de Charenton. La distribution des pièces comportait en général un petit nombre d’aliénés, les autres rôles étant tenus par des comédiens professionnels et des amateurs avertis. Le marquis composait des pièces pour le théâtre et dirigeait les répétitions.

A partir de 1808, plusieurs voix réclamèrent un contrôle strict du marquis, et menacèrent l’extraordinaire liberté dont jouissait Sade à Charenton. Sa carrière littéraire s’acheva finalement en 1810 sur ordre du nouveau ministre de l’Intérieur Montalivet :

« Considérant que le Sieur de Sade est atteint de la plus dangereuse des folies ; que ses communications avec les autres habitués de la maison offrent des dangers incalculables ; que ses écrits ne sont pas moins insensés que ses paroles et sa conduite, (...) il sera placé dans un local entièrement séparé, de manière que toute communication lui soit interdite sous quelque prétexte que ce soit. On aura le plus grand soin de lui interdire tout usage de crayons, d’encre, de plumes et de papier. »