Le diable au corps de Claude Autant-Lara
Article mis en ligne le 22 septembre 2014
dernière modification le 23 septembre 2014

par Webmestre

Mardi 16 septembre à 20h30

France/Grande-Bretagne 1947 1h50

Scénario : Jean Aurenche et Pierre Bost d’après l’œuvre de Raymond Radiguet

Prix de la Critique Internationale Festival de Bruxelles 1947

Avec : Gérard Philipe (Prix d’interprétation au Festival de Bruxelles), Micheline Presle, Jean Debucourt, Denise Grey, Palau…

Présentation et débat : Caroline Patte du CNC

Synopsis

Pendant la 1ère Guerre mondiale, les amours subversives d’un adolescent et d’une jeune femme mariée à un soldat.

Le contexte

 : Avant même sa sortie en salle, par peur de la censure, la production tenta de charcuter le film (remontage, scènes écourtées ou coupées) et il fallut la pression de la CGT (Syndicat des techniciens du film) qui menaça de déclencher une grève générale pour que ce sabotage soit abandonné. A sa sortie, le film fut violemment attaqué par les associations d’anciens combattants et les ligues de moralité. Des journalistes firent même une pétition pour qu’il soit retiré de l’affiche, ce qui fut le cas dans de nombreuses villes. A la projection au Festival de Bruxelles, l’ambassadeur de France quitta la salle. La polémique fut vive et dura longtemps. Malgré ces attaques, le film fut un succès public.

Jean Cocteau, lui, y apporta sa caution en déclarant : « On a insulté le film, ce qui prouve que le film est digne du livre… Je félicite l’équipe du Diable au corps de ne pas s’être plié à aucune des règles des fabricants de fleurs artificielles. On aime les personnages, on aime qu’ils s’aiment, on déteste avec eux la guerre et l’acharnement public contre le bonheur. »

« Ce devrait être un chef-d’œuvre, ce n’est qu’un film inoubliable », écrit Paul Vecchiali dans son ouvrage sur le cinéma français, « L’Encinéclopédie » en avouant qu’il a vu le film une quinzaine de fois lors de sa sortie, quand il était adolescent

« Autant-Lara a toujours pris parti contre la guerre, avec fougue, avec rage parfois. Elle est, pour lui, un jeu ignoble, elle détruit la vie, fait apparaître ce qu’il y a de plus mauvais dans l’homme. François er Marthe (admirablement interprétés, incarnés à jamais par Gérard Philipe et Michèle Presle) sont des victimes au même titre que Jacques Lacombe, soldat jeté au combat et mari trompé. Le nationalisme restauré d’après 1945 ne pouvait y trouver son compte. Même l’amour, ici, a on goût de mort. Ne braquons pas le feu des passions sur des conduites jugées immorales qui ne furent pas données en exemple. Le Diable au corps est l’un des grands films du cinéma français. » Jacques Siclier Dossier de presse

Claude Autant-Lara (1901/2000)

C’est avec « Le diable au corps » qu’Autant-Lara s’impose vraiment dans le cinéma français et qu’apparaissent clairement les thématiques et lignes de force qui vont marquer ses films. S’attaquant avec virulence à la bourgeoisie et à sa morale, et à tout ce qui entrave la liberté de l’individu, Claude Autant-Lara sera « un cinéaste dérangeant… et fier de l’être ». Il se définissait lui-même comme « le poivre sur la plaie, l’huile sur le feu, le feu aux poudres. »

On a beaucoup glosé sur ses dérives politiques des années 80 où il défraya la chronique par ses prises de position en faveur de l’extrême droite, on connaît beaucoup moins son engagement de 1944 à 1945 où il participa activement, au sein de la CGT spectacle, au mouvement de défense du cinéma français contre l’invasion des films américains et où il joignit sa signature aux appels en faveur de la Paix. Il sera, pendant 7 ans, à la tête des syndicats des techniciens du film CGT. En pleine guerre d’Algérie, fidèle à la mémoire de sa mère, Louise Lara, vedette du Théâtre français, qui refusa de s’associer aux manifestations chauvines organisées pendant la 1ère guerre, Autant-Lara réalise un film sur l’objection de conscience, « Tu ne tueras point ».* Tourné en Yougoslavie et présenté sous pavillon yougoslave au Festival de Venise en 1961, où Suzanne Flon obtient le Prix d’interprétation féminine.

Filmographie non exhaustive

-1951 : L’auberge rouge

-1953 : Le blé en herbe

-1954 : Le rouge et le noir

-1956 : La traversée de Paris

-1958 : En cas de malheur

-1959 : La jument verte

-1965 : Le journal d’une femme en blanc

*« Il faut saluer Autant-Lara pour son courage et son intégrité. Désireux depuis des lustres de tourner un projet intitulé L’objecteur, le fils de Louise Lara, éjectée de la Comédie-Française pour cause de pacifisme en temps de guerre, parvint contre vents et marées à réaliser ce vibrant éloge à ce qui est pour lui le courage suprême : le refus de porter les armes et de tuer ses frères, même sur ordre supérieur. Ne trouvant pas de producteur, il mit dans l’entreprise jusqu’à son dernier sou, alla tourner en Yougoslavie et tenta de pousser en pleine guerre d’Algérie le même cri que sa mère avait lancé en 14-18. Il n’y parvint pas, la censure qui veillait au grain n’ayant autorisé l’exploitation du film qu’en 1963, soit un an après les accords d’Évian. Son film devait être sacrément gênant puisqu’on s’arrangea pour le faire sortir pendant la saison morte, ce qui empêcha Tu ne tueras point de toucher un vaste public et de provoquer un salutaire débat sur le problème de l’objection. Son film doit gêner encore puisque jamais aucune chaîne de télé ne le reprend... On ne peut souhaiter qu’un jour Tu ne tueras point trouve la notoriété de son équivalent dans le domaine de la chanson, Le déserteur de Boris Vian. »

Guy Bellinger, "Guide des films de Jean Tulard", Robert Laffont, Paris, édition 2005.