"Sacco et Vanzetti" de Giuliano Montaldo le 21 avril au Lido à 20h30
Article mis en ligne le 31 mars 2015

par Webmestre

Italie 1971 120mn VOSTF Ressortie en copie inédite restaurée : juillet 2014

Avec : Riccardo Cucciolla (Prix d’interprétation Cannes 1971), Gian Maria Volonte, Cyril Cusak, Rosanna Fratello, Geoffrey Keen…

Musique : Ennio Morricone Chanson interprétée par Joan Baez

« J’ai plus souffert pour ma famille et pour ceux qui me sont chers que pour moi-même, mais je suis tellement convaincu d’être dans le juste que si vous aviez le pouvoir de me tuer deux fois et si par deux fois je pouvais renaître, je vivrais de nouveau pour faire exactement ce que j’ai fait jusqu’à présent. »

Bartolomeo Vanzetti

Synopsis

En avril 1920 aux Etats-Unis, un hold-up est commis dans une banque à South Braintree, à proximité de Boston. L’attaque est sanglante : deux hommes y perdent la vie. Au début du mois de mai, Nicola Sacco, cordonnier, et Bartolomeo Vanzetti, poissonnier, sont arrêtés. Sacco possède un revolver du même calibre que l’arme du crime, sans permis de port d’armes. De plus, les deux suspects, d’origine italienne, sont connus pour leurs sympathies anarchistes. Ce qui en suffit pour en faire des coupables tout désignés. Bien que les deux Italiens disposent de solides alibis, ils sont traînés en justice et doivent affronter une cour hostile. Le procès s’engage mal pour les deux hommes…

Avis critiques :

– « Sacco et Vanzetti » ou l’erreur judiciaire en version restaurée inédite ! par Benoit Varnex (Rolling Stone 06/08/14)

« Longtemps, pour le grand public, la seule chose qui a “survécu” du film de Giuliano Montaldo, ce fut la chanson de Joan Baez qui illustre son générique de fin, le fameux “The Ballad of Sacco and Vanzetti” plus connu pour sa première ligne, “Here’s to you Nicola and Bart”. Les cinéphiles, eux, avaient gardé en mémoire un film d’une force inouïe, à commencer par son début et ses images en noir et blanc d’une rafle dans les campements d’émigrés italiens par la police américaine et la violence du flash au magnésium d’un photographe de presse “couvrant” l’événement.

Certes, l’histoire était forte, elle aussi, et avait fait le tour du monde en son temps. L’histoire ? Celles de deux Italiens qui, comme tant d’autres, étaient venus chercher fortune en Amérique – Boston en l’occurrence – , cordonnier pour le premier (Sacco) vendeur de poissons pour le second (Vanzetti), vite accusés en 1920 d’un meurtre qu’ils n’avaient pas commis et davantage jugés pour leurs convictions politiques épousant celles des mouvements anarchistes de l’époque. Condamnés à mort, ils seront passés par la chaise électrique sept ans plus tard, malgré les manifestations de soutien de plus en plus importantes à travers la planète à mesure qu’approchait la date de leur exécution.

Un procès le plus souvent à charge, s’appuyant sur des preuves on ne peut plus fragile et des témoins à la fiabilité douteuse. Un procès comme un symbole de l’Amérique de l’époque, conservatrice de nature, devenue violente et paranoïaque face à cet afflux massif et incessant d’émigrés débarquant sur son sol, une Amérique aveuglément répressive et xénophobe parfaitement incarnée ici à l’écran par le juge Thayer (interprété par Geoffrey Keen, futur personnage récurrent dans les James Bond de 1977 à 1987).
Que l’on goûte ou non la théâtralité exacerbée des acteurs italiens du début des années 70, difficile de ne pas reconnaître combien Gian Maria Volonte (Vanzetti) et Riccardo Cucciola (Sacco) captent et captivent l’attention, même si l’on peut s’étonner aujourd’hui encore que seul le second ait décroché à l’époque le prix d’interprétation à Cannes… Une (re)découverte s’impose. »

– "La réponse de l’Amérique à la révolution bolchevique, ce fut l’affaire Sacco et Vanzetti. En 1920, à la suite du braquage d’une usine de chaussures, deux anarchistes d’origine italienne, Nicola Sacco, cordonnier, et Bartolomeo Vanzetti, poissonnier, sont arrêtés en possession d’une arme. Le climat est tendu : la justice vient de procéder à des rafles gigantesques parmi les anarchistes ; un homme a été retrouvé mort au pied du commissariat central de New York ; les Etats-Unis, après la Première Guerre mondiale, comme plus tard après la Seconde, plongent dans une atmosphère xénophobe, paranoïaque, anti-syndicaliste, où les WASP tentent de reprendre la main sur une Amérique trop ouverte, selon eux, aux immigrés. Des lois restreignent l’entrée des étrangers, le melting pot européen est terminé, l’Amérique n’est plus une terre promise.

Au début des années 1970, Gian Maria Volonte, après s’être fait connaître dans les westerns de Sergio Leone, était devenu l’acteur incontournable des films politiques italiens de Francesco Rosi. Montaldo fit appel à lui pour interpréter le solide Vanzetti qui ne se laisse pas abattre par une justice américaine partiale. Mais ce fut Riccardo Cucciolla, moins connu, qui campait un Sacco plus fragile, plus résigné, qui décrocha le prix d’interprétation à Cannes. Qui a vu ce classique du film de procès se souvient de la spectaculaire séquence d’ouverture - la rafle des anarchistes, avec les flashes des reporters au magnésium, extrêmement bien montée - et de la chanson de Joan Baez "Here’s to you (Nicola and Bart)" commandée par Ennio Morricone à la chanteuse.

Mais le film vaut aussi par cette capacité à rendre compte sans ennui des débats, des joutes entre l’avocat de la défense et le procureur, tout en restant au plus près des deux accusés qui suscitèrent de par le monde un des plus importants mouvements de soutien - Einstein, le pape - de l’histoire du XXe siècle. Il est assez révélateur que cette affaire ait été portée à l’écran non par le cinéma américain, mais par le cinéma italien, qui était à son sommet en 1971, alors que l’Italie elle-même, avec les attentats de la piazza Fontana (1970), la radicalisation des extrêmes et les manigances policières, commençait à vivre ses années de plomb. À cet égard, Montaldo, en se penchant sur cette affaire des années 1920, lançait un avertissement à son propre pays.

Le Point. Fr 6/08/14 François-Guillaume Lorrain

Propos de Montaldo

On pourrait s’étonner que cette tragique histoire de Sacco et Vanzetti, vieille de 40 ans, n’ait pas intéressé les cinéastes plus tôt mais répond Montaldo :

– Je vois à cela plusieurs raisons. D’abord il était préférable que ce soit un italien qui fasse le film. Ensuite, il y a le fait que pendant que se déroulait l’affaire Sacco et Vanzetti, l’Italie connaissait la montée fasciste qui interdisait qu’on en parle. Personnellement, j’ai envie de tourner le film depuis 10 ans, depuis le jour où j’ai vu la pièce de Vincenzoni et Roli sur Sacco et Vanzetti, montée dans une usine de Gènes et très âprement discutée à la fin, à la fois par le public et par les comédiens. Mais les producteurs de cinéma n’étaient pas très chauds pour produire des films politiques. Il a fallu attendre le succès de « Z » et de « Enquête sur un citoyen au- dessus de tout soupçon ». Le film a très bien marché en Italie…

Mais en dépit de ce succès, je sais que ma responsabilité est encore entière. Il ne faudrait pas que cette porte, ouverte avec peine, se referme devant notre nez. De toute façon, cette histoire a encore sa raison d’être. Même si le contexte a changé, le racisme, la violence et l’intolérance sont encore très vivaces. On jette encore des gens en prison pour raisons politiques…Récemment, il y a eu l’affaire de cet anarchiste qui s’est jeté par la fenêtre d’un local de police. Voilà pourquoi je tenais tant à filmer « Sacco et Vanzetti », l’histoire de répète et on ne multiplie pas assez les avertissements.

Les lettres françaises 2/06/71 Propos recueillis par Gérard Langlois

Le point de vue d’Howard Zinn

"Combien d’entre vous ne savent rien de l’affaire Sacco et Vanzetti ? Et puis, il y a ceux qui connaissent l’affaire Sacco et Vanzetti sans la connaître. Au moment où je suis entré dans l’âge adulte et où je me suis politisé, l’affaire Sacco et Vanzetti m’est apparue comme l’un des événements les plus dramatiques de l’histoire américaine...
Je voudrais vous lire quelque chose que Vanzetti avait dans sa poche quand il était dans le tramway à Brockton, le jour où il a été arrêté. Ce qu’il avait dans sa poche, c’était un tract annonçant un meeting où il allait prendre la parole. Le tract disait :

« Vous avez fait toutes les guerres. Vous avez travaillé pour tous les capitalistes. Vous avez parcouru tous les pays. Avez-vous recueilli le fruit de vos labeurs, le prix de vos victoires ? Le passé vous réconforte-t-il ? Le présent vous sourit-il ? L’avenir vous promet-il quelque chose ? Avez-vous trouvé un coin de terre où vous puissiez vivre comme un être humain et mourir comme un être humain ? De ces questions, de ce débat, de ce thème, le combat pour l’existence, Bartolomeo Vanzetti parlera. »

Évidemment, il n’a jamais eu l’occasion de prononcer ce discours. Mais il m’a semblé qu’il était là, son discours. On ne va pas laisser quelqu’un faire un discours comme celui-là. Si on faisait ce discours assez souvent, s’il y avait assez de gens pour le faire et assez pour l’entendre dans un pays où, pour tant de gens, ce message a une résonance, on pourrait avoir un formidable mouvement pour un changement social. Voilà ce qu’il y avait derrière l’affaire Sacco et Vanzetti et l’affaire Mumia Abu-Jamal et derrière tant de choses qui continuent de se produire dans notre société et derrière une bonne partie de ce qu’on appelle le système judiciaire.
C’est important, en particulier dans une faculté de droit, où il est si facile de se perdre — j’allais dire se salir — dans les subtilités du droit. Derrière le droit, au-dessus du droit, il y a de graves questions de classe, de race, de genre et de conflit social. Si nous voulons la justice, nous sommes amenés, d’une certaine manière, à prendre parti dans ce conflit."