"Aquarius" Kleber Mendonça Filho Avant-Première au lido le 16 septembre à 20h30

Brésil 2016 2h20 VOSTF
Avec : Sonia Braga, Maeve Jinkings, Irandhir Santos, Humberto Carrão…

A Cannes, lors de la présentation, mardi 17 mai, d’Aquarius, deuxième long-métrage du Brésilien Kleber Mendonça Filho, en haut des marches, ses acteurs avaient organisé, mardi, un petit happening en brandissant, à l’attention des médias du monde entier, des pancartes où on pouvait lire, « un coup d’Etat a eu lieu au Brésil ». Un geste simple et fort, qui résonnait avec la froide colère et la calme détermination que Clara, le personnage principal du film, oppose au promoteur immobilier qui veut la déloger de l’appartement où elle a passé toute sa vie.

Article mis en ligne le 30 août 2016

par Webmestre

Le point de vue de Télérama :

On est au nord-est du Brésil, dans la ville côtière de Recife, où se situait déjà le premier long-métrage de Kleber Mendonça Filho, Les Bruits de Recife. Clara (Sônia Braga), la soixantaine olympienne, vit seule dans un appartement qui lui est cher, face à la mer. Ce lieu, tapissé d’une collection impressionnante de vinyles (pop, bossa nova…) qu’elle a gardé du temps où elle était critique musicale, est pour elle chargé d’histoires, qui nous reviennent par bribes. Aujourd’hui veuve, mère de trois grands enfants qui aiment lui rendre visite, elle doit faire face au harcèlement constant voire à l’intimidation d’un promoteur immobilier qui a racheté tous les autres appartements de l’immeuble, désormais désert. De propositions alléchantes, elle ne veut pas entendre parler. Au risque de passer pour une folle, ce qu’elle veut, c’est rester ici. Une tension s’installe, dont le film, captivant, se fait l’écho.

Kleber Mendonça Filho a repris une partie du dispositif à l’œuvre dans Les Bruits de Recife, qui délimitait et quadrillait un territoire, un quartier hyper-sécurisé, et composait à partir de lui une mosaïque de ses divers habitants. Cette fois, le réalisateur s’est focalisé sur un personnage central, Clara, rattachée à la classe moyenne éclairée et enrichie, et dont il brosse un portrait tout en finesse, par touches sensibles. Une femme qui a connu le cancer – à l’origine de l’ablation d’un sein, révélée par une image forte et fugitive dans la salle de bains, qui montre que l’actrice elle-aussi a connu le même sort. Une femme orgueilleuse et forte malgré tout, qui aime danser, qui continue de mordre la vie à pleine dents et désirer les hommes, n’hésitant pas, sur les bons conseils d’une amie, à faire appel à un gigolo. Une femme pleine de vigueur et de qualités donc, mais non dépourvue d’égoïsme, de condescendance et même d’acharnement inquiétant. Le portrait n’est pas que flatteur.
Le film, entre chronique et douce divagation, suggère, éclaire des ambiguïtés, laisse des zones d’ombres aussi. Impressionniste, il cueille des moments de vide comme de plénitude. Sa force est de faire de la situation de Clara une allégorie plus large sur le Brésil d’aujourd’hui, sur la corruption qui gangrène ses fondations, sur les nouvelles formes de domination, la tendresse paternaliste entretenue avec les employés de maison, etc... L’actrice principale, Sônia Braga, fierté nationale, sex-symbol hier avec des films comme Dona Flor et ses deux maris, y est pour beaucoup. De tous les plans ou presque, elle s’affiche ici avec autant de cran que de pudeur…

Le point de vue de Julien Gester dans Libération :

Comme déjà dans les Bruits de Recife, le formidable premier long métrage de Kléber Mendonça Filho qui l’avait révélé voilà trois ans, le cinéaste porte ici une attention rare aux tensions entre les individus, les lieux et les puissances qui les habitent. La générosité de son écriture, l’expressivité de son découpage et l’ampleur que poursuivent ses histoires au ras des êtres le conduisent souvent, dans un même geste, à feuilleter avec volupté ce qu’un personnage peut bien avoir dans la tête ou dans le ventre, à sonder les données invisibles de la situation que lui est faite ou de la société qui l’enserre de sa totalité, à parcourir la frange de porosité qui les lient…
On apprend dès les premières minutes que Clara, dont le film n’oublie pas d’examiner combien l’âge et les drames ne l’ont faite renoncer à aucun de ses appétits de femme, a subi trente ans plus tôt l’ablation d’un sein à la suite d’un cancer. Cette condition éclaire d’abord la fabrique d’un caractère, et la superbe indocile que lui prête l’éblouissante actrice qui l’incarne dans sa protestation contre les vexations et les manœuvres de déstabilisation dont elle fait l’objet. Mais l’emprise de ce motif gagne peu à peu le film lui-même et le ronge pour se faire tout à la fois son mode et son objet. L’image proliférante de la société brésilienne comme organisme métastasé, méthodiquement amputé de son histoire, et des stratégies parasitaires que le cinéaste dénonce avec la même indolente et inflexible fureur de son héroïne à préserver, comme si c’était là sa chair, ce qui s’est sédimenté autour d’elle des alluvions de sa vie.

Le point de vue de Christophe Kantcheff dans Politis : A Recife, au Brésil, une femme éclatante résiste à la laideur du monde.

Aquarius raconte l’histoire d’une femme très distinguée d’une soixantaine d’année, Clara (Sonia Braga, l’héroïne du Baiser de la femme araignée, d’Hector Babenco, en 1985), qui continue d’habiter l’immeuble où elle vit depuis toujours, alors que tous ses autres voisins l’ont déserté. Cet immeuble à l’architecture particulière, l’Aquarius, situé dans un quartier huppé de Recife le long de l’océan, est la cible de promoteurs immobiliers dont les projets aux juteuses perspectives sont entravés par la résistance de Clara. Celle-ci doit faire face à un harcèlement sournois, notamment organisé par un jeune loup de la société immobilière dont le sourire doucereux dissimule mal le mépris et les méthodes perverses…
Si cet aspect du film n’est pas négligeable, là n’est pas tout à fait son centre. Car la contestation du lieu de vie de Clara va aussi susciter chez elle comme un retour sur son existence, sur ses souvenirs, sur la femme et la mère qu’elle a été et qu’elle est aujourd’hui.
Mais encore avant cela, parce que ce personnage est entièrement investi par Sonia Braga, Aquarius est un formidable hymne à la comédienne. Elle est de tous les plans, et éblouit chacun d’eux par la grâce de son jeu et sa beauté. Quand le cinéma semble dévolu à ne promouvoir que les charmes de la jeunesse, Aquarius, à la faveur du regard que porte sur elle Kleber Mendoça Filho, chante la splendeur d’une comédienne qui a passé la soixantaine – la même qu’avait Ingrid Bergman à cet âge – et cela aussi est un acte politique…
« We will resist », disait les pancartes de l’équipe du film juste avant la projection. Contre la vulgarité du capitalisme ou contre les malheurs de la vie, Clara est une formidable figure de résistante.