"Mélancolie ouvrière" de Gérard Mordillat, en sa présence, le 6 octobre au Lido à 20h30
Article mis en ligne le 14 septembre 2017

par Webmestre

Adapté du livre de Michelle Perrot

France 2017 Fiction

Avec : Virginie Ledoyen, Philippe Torreton, François Cluzet…

Gérard Mordillat dédicacera son dernier livre « La tour abolie » à la fin de la projection

L’histoire, sur fond de chansons de l’époque, de Lucie Baud, une figure oubliée du syndicalisme, porte-parole féministe, qui a mené, en 1905 et 1906, deux grandes grèves dans les soieries à Vizille et Voiron, près de Grenoble.

Pourquoi ce titre : « Mélancolie ouvrière » ?

« Il y a une mélancolie ouvrière des lendemains de grève, qui pèse d’autant plus qu’officiellement on n’avoue pas l’échec, comme si c’était une faute, une lâcheté. Après la fièvre de l’action, l’exaltation des manifestations, l’excitation des meetings, le frisson des discours enflammés, après la provisoire et enivrante fusion du « tous ensemble », le groupe dispersé se dissout. Chacun retrouve ses problèmes et sa solitude ». Michelle Perrot

Interview de Michelle Perrot, historienne, spécialiste du monde ouvrier et de la condition des femmes

– Qui est Lucie Baud (1870-1913), l’héroïne de Mélancolie ouvrière ?

Elle est une ouvrière en soie du Dauphiné. Les journées étaient alors longues (douze-treize heures) et l’attention devait être constante (la machine pouvait s’enrayer). Les patrons cherchent à produire de plus en plus et Lucie Baud est confrontée à l’accroissement des rendements. Elle a reçu une éducation catholique, elle a été alphabétisée, elle a été mariée à un garde champêtre dont elle a eu deux enfants. Elle s’est émancipée de tout ça, mais son cheminement nous échappe. Quand son mari meurt, elle a juste son salaire d’ouvrière pour faire vivre ses deux filles. Elle fonde un syndicat qui rencontre du succès. On l’envoie en délégation à Reims. On ne lui donne jamais la parole durant le congrès. Elle engage une première grève à Vizille en 1905. Elle représente les ouvriers dans un face-à-face avec le patron. Quand on voit la distance aujourd’hui entre ouvriers et patrons, la confrontation entre Lucie Baud et son patron a presque quelque chose de rassurant. Elle est renvoyée de l’usine de Vizille. Elle retrouve vite du travail. Elle mène une deuxième grève à Voiron le 1er mai 1906. Les ouvriers ont cru qu’ils allaient accéder au pouvoir, mais il y a une dégringolade de leurs espérances jusqu’à la guerre de 14. Lucie Baud a eu une vie courte. Elle a fait une tentative de suicide, après l’échec de la grève de Voiron en 1906, dans des conditions obscures et dramatiques. Elle se tire trois balles de revolver dans la mâchoire. Elle décède sept ans plus tard, à 43 ans.


– Qu’est-ce qui constitue Lucie Baud comme héroïne ?

Il y a l’action mais il y a aussi l’écriture. Lucie Baud a laissé un témoignage important dans une revue socialiste animée par de jeunes intellectuels parisiens qui avaient fait le choix du syndicalisme d’action directe pour leur idéal. On ne connaît pas sa part de rédaction dans ce texte qui a été, peut-être, le résultat d’un entretien avec un journaliste. Mais ce texte court et modeste est exceptionnel car on possède peu de témoignages de femmes ouvrières. La culture anglo-saxonne porte davantage vers la parole de chacun. Les ouvriers français écrivent, à l’inverse, peu sur eux. Ils sont dans le "nous" collectif. Lucie Baud a donc été quelque chose dans l’Histoire : un maillon. Elle a aussi fait preuve d’un courage physique et moral. Elle a été remarquable avec les ouvrières italiennes. La majeure partie de ses camarades était hostile aux Italiennes, notamment parce qu’elles étaient des "jaunes", des briseuses de grève. Lucie Baud ne cesse de prendre leur défense. Je l’imagine peu soutenue par son entourage. Sa tentative de suicide s’explique peut-être par sa solitude. Lucie Baud meurt avant la guerre de 14, qui est un coup de torchon sur tout le passé.

Interview de Gérard Mordillat par Gilles Charles (avril 2017).

– C’est une fiction très militante…

Ce n’est pas très militant, c’est simplement très historique. Cela montre que premièrement le combat des salariés contre les conditions qui leurs sont faites, est un combat qui a plusieurs siècles maintenant. Ensuite c’est aussi une façon de parler du contemporain…On se dit que le temps n’a pas passé, que ce pourquoi se battait Lucie Baud, des millions de femmes se battent encore aujourd’hui pour la même chose.

– Peut-on également comparer les époques ?

Les époques ne sont jamais réellement comparables, mais il y a quand même une sorte de parallèle historique, qui est facile à faire. On voit Lucie Baud mener ses grèves parce que les patrons, au nom du progrès technique, voulaient augmenter le temps de travail et diminuer les salaires d’un tiers. Si ce n’est de la moitié...
Aujourd’hui que voit-on ? On voit exactement le même type de combat au nom du même progrès technique, on dit oui le temps de travail doit être rallongé, puisque c’est plus facile finalement de faire des choses qui sont robotisées, informatisées, et le salaire a disparu au profit du coût du travail, et donc il faut le baisser, le baisser sans cesse. Evidement ce n’est pas la même époque, mais parallèlement, en miroir, on voit exactement comment ces mouvements-là, qui sont les mouvements profonds des organisations patronales, perdurent à travers les siècles.

– Le profit au détriment de l’humain ?

Le profit gouverne le monde, le monde capitaliste. Et à l’époque de Lucie Baud, comme aujourd’hui, c’est cela qui nous gouverne malheureusement. On ne s’inquiète pas de ce qu’est la condition des individus. Montrer la vie de Lucie Baud, de cette femme exceptionnelle par son intelligence, par son courage, son abnégation, son sens du bien commun, c’est aussi dire ce qui nous manque aujourd’hui.