"Paris pieds nus" de Fiona Gordon/DominiqueAbel 9 avril 20h30 Le Lido Soirée animée par Nicolas Thévenin de la revue "Répliques"
Article mis en ligne le 25 mars 2019

par Webmestre

France/Belgique Date de sortie 8 mars 2017 1h 23min
Avec : Fiona Gordon, Dominique Abel, Emmanuelle Riva, Pierre Richard

Synopsis

Fiona, une Canadienne, se rend pour la première fois à Paris pour rejoindre sa tante Martha, sur le point d’être envoyée contre son gré en maison de retraite. Au gré de ses mésaventures, elle fait la rencontre de Dom, un SDF qui va la guider tout autant qu’il va la détourner de son chemin.

DOMINIQUE ABEL & FIONA GORDON :

Dominique Abel est belge ; Fiona Gordon est canadienne, née au Australie.
Depuis plus de 25 ans, Abel et Gordon créent ensemble un univers théâtral atypique, très visuel et empreint de poésie et d’humour. Dans les années 1980, ils s’installent dans une ancienne usine réaménagée à Bruxelles et fondent leur compagnie, "Courage mon amour", avec laquelle ils mettent en scène quatre spectacles qui feront le tour du monde. Ne se lassant jamais de leur sujet préféré : la maladresse des êtres humains, Abel et Gordon font leurs premiers pas au cinéma dans « La Poupée » (1992) de Bruno Romy, devenu depuis lors, un proche collaborateur. Depuis leur premier long-métrage, « L’iceberg » (2006), ils ont réalisé trois autres long-métrages dans lesquels ils développent un comique burlesque physique, dans la veine clownesque de Pierre Étaix et de Jacques Tati

Notre style. Pourquoi nous persistons et qu’est-ce qui change.

Nous venons du monde du spectacle. En plus de l’intérêt du live, les contraintes de la scène favorisent l’imaginaire, on doit transposer en permanence, trouver des trucs, des astuces en connivence avec le public. Nous avons emporté cette démarche au cinéma, tout en avançant, de film en film, dans le monde bien réel, concret, d’aujourd’hui.
Dans « Paris pieds nus », nous avons tourné pour la première fois en numérique, pour être plus mobile, plus léger, pour pouvoir se glisser dans la ville et auprès de ses habitants avec plus de spontanéité.
C’est un désir d’expérimentation, d’un peu de bordel et de liberté, que ce soit au niveau du récit, du cadre ou de la musique. On a laissé opérer les hasards, on a composé avec les contraintes des lieux. C’était important pour nous, autant que de préserver notre esprit burlesque, d’ancrer cette histoire dans un milieu réel, peuplé, de faire de Paris un personnage, aussi, au corps cabossé

Avis critiques

– Marcos Uzal dans "Libération"

Ce qui caractérise avant tout le cinéma d’Abel et Gordon est la façon dont tout (même l’érotisme) y est tendu vers la danse, jusqu’à nous offrir à chaque fois de belles scènes chorégraphiques (ici, un formidable tango sur un bateau-mouche). Le danger du burlesque est de sombrer dans l’artificialité ou la poésie mièvre. Abel et Gordon en sont conscients, et ils n’hésitent pas à contrebalancer leur gentillesse par un peu de cruauté ou de malaise, comme dans cette scène où un éloge funèbre déraille jusqu’à se terminer par des insultes. Et ils assument leur raideur en la frottant parfois à un peu de trivialité. Dans leur nouveau film, ils se permettent de filmer certaines scènes au milieu de la foule, y compris dans le métro, ce qui ne fait que souligner l’incongruité totale de leurs personnages. Si Tati était si grand, c’est que chez lui les artifices du burlesque devenaient des éléments plus réalistes que le réalisme en révélant la part mécanique de l’être social et une certaine inhumanité du monde contemporain.

Dans Paris pieds nus, au moins un élément parvient à dépasser ainsi le simple jeu burlesque pour nous donner à voir de façon inédite une parcelle du réel. C’est l’utilisation qui est faite d’un point très précis de Paris, l’île aux Cygnes, près du pont de Bir-Hakeim, où la statue de la Liberté fait face à la tour Eiffel (si bien qu’un personnage ne sait plus s’il est à Paris ou à New York). En choisissant ce lieu comme décor principal de leur film, Abel et Gordon en font une sorte de réduction drolatique de Paris, où se concentre toute sa part d’artifices touristiques, à la fois grandiose et un peu ridicule, monumentale et kitsch.

En jouant une grand-mère un peu sénile mais encore pleine de vigueur et de désirs, Emmanuelle Riva trouve ici un dernier rôle très touchant. Son personnage est comme l’antithèse de celui qu’elle incarnait dans le mortifère Amour de Michael Haneke : une façon joyeuse d’assumer sa vieillesse et de faire face à la mort. C’est aussi cela, l’élégance du comique. Que l’on soit sensible ou non à leur univers, il est indéniable que le cinéma d’Abel et Gordon possède au moins une qualité primordiale. Parce qu’ils sont des burlesques, ils se concentrent constamment sur l’essentiel : la conscience du cadre, le rythme de chaque plan, les postures des corps. Et il est de plus en plus rare de voir des films qui tentent d’avoir au moins une idée par plan.

– dans " Les Inrocks" :

Paris pieds nus (joli titre) raconte l’histoire d’une vieille fille canadienne, Fiona (Gordon), qui débarque à Paris pour aider sa tante âgée qui perd la boule, Martha (Emmanuelle Riva). C’est le quatrième long métrage du couple Gordon et Abel, découverts en 2006 avec L’Iceberg.

Venus de l’art clownesque, ces deux zigotos ont développé un cinéma burlesque et social mâtiné de fantastique. On les sent bien influencés par Aki Kaurismäki, même s’il leur manque ce je-ne-sais-quoi d’extrême précision dans le cadre et dans la mise en scène qui est patent chez le Finlandais génial.
Mais cette légère approximation caractérise leur cinéma humain et chaleureux : c’est tout eux, au fond, cet aspect brouillon, au même titre que leurs grands pieds et leurs grandes dents avec lesquels ils ont appris à nous faire rire.

Et puis c’est le dernier film d’Emmanuelle Riva. Coiffée à la punk, elle est très drôle quand elle poste la lettre à Fiona dans une poubelle publique plutôt que dans une boîte aux lettres, quand elle danse avec son ancien amant (Pierre Richard) dans un cimetière ou qu’elle fait des haltères en comptant jusqu’à cent (mais en commençant à 97…)

– Nicolas Gilson "Un grand moment de cinéma"

Tout à la fois clowns et danseurs, Fiona Gordon et Dominique Abel ont imposé au fil de leur filmographie un style singulier en transposant au cinéma la magie d’un univers aujourd’hui théâtral qui demande aux spectateurs de faire appel à leur imaginaire. Si c’est un peu sans surprise que PARIS PIEDS NUS s’inscrit dans la lignée de L’ICEBERG, RUMBA et LA FEE, il est peut-être nécessaire d’adopter un regard neuf afin de nous laisser prendre au jeu. Evoquant les grands burlesques dont le duo peut légitimement se revendiquer, le film, qui peine quelque peu à trouver son rythme, nous confronte à l’absurdité de toute existence (lorsque le temps nous rattrape pour nous dire que nous n’en avons plus) offrant à Emmanuelle Riva un ultime rôle dont le caractère taquin et malicieux nous subjugue.

Nous confrontant d’emblée à la logique d’une comédie surannée, Fiona Gordon et Dominique Abel nous demandent d’être les complices de leur création. Ils recourent aux couleurs qui leur sont chères et retrouvent une certaine frontalité qui assoit l’hypothèse de représentation. Ils nous invitent à pénétrer un petit théâtre plus commun que connu où le corps est l’instrument, souvent mal accordé, des personnages.

Tantôt réaliste, tantôt fantasque, le décor de Paris, de la Statue de la Liberté à la Tour Eiffel, devient le trait d’union entre les mondes que les réalisateurs mettent en scène ; entre la magie de l’imagination et la cruauté de l’existence, entre la vie et la mort.
Construit comme un chassé-croisé autour de trois principaux personnage – Fiona, Dom et Martha – le scénario prend vie au fil des interactions enchainant les situations jusqu’à leur épuisement, sans crainte des répétitions qui permettent de révéler les hiatus ordinaires qui offre à toute vie une emprunte romanesque. Du burlesque des situations émane la poésie qui confère à PARIS PIEDS NUS l’enchantement et la force d’une fable qui questionne notre rapport au corps et au temps ; notre humanité aussi.