"De cendres et de braises" de Manon Ott en sa présence le 13 décembre à 20h30 au Lido
Article mis en ligne le 7 novembre 2019
dernière modification le 16 novembre 2019

par Webmestre

Un livre à deux faces (l’une historique, une enquête sur Les Mureaux, l’autre cinématographique), de même titre et de même auteure, prolonge le film et sera proposé, lors de la séance, par la librairie Les Oiseaux Livres

"De cendres et de braises"
Manon Ott en collaboration avec Grégory Cohen
Documentaire 73 min 2018 France
Prix du Jury au Festival Les Ecrans Documentaires 2018
Prix du Moulin d’Andé au Festival Les Ecrans Documentaires 2018
Prix de la restitution du travail contemporain au Festival Filmer le travail 2019

Synopsis :

Portrait poétique et politique d’une banlieue ouvrière en mutation, De cendres et de braises nous invite à écouter les paroles des habitants des cités des Mureaux, près de l’usine Renault-Flins. Qu’elles soient douces, révoltées ou chantées, au pied des tours de la cité, à l’entrée de l’usine ou à côté d’un feu, celles-ci nous font traverser la nuit jusqu’à ce qu’un nouveau jour se lève.

Ils ont aimé :

« Les Mureaux, en région parisienne. Les cités HLM se réveillent dans un noir et blanc qui annule la grisaille attendue des quartiers. A quelques kilomètres, les usines Renault emploient encore une partie des habitants, à commencer par les enfants de ceux qu’on fit venir d’Afrique et du Maghreb dans les années 1960. Que reste-t-il de la classe ouvrière ? En bas des barres d’immeubles, à l’entrée de l’usine avec les syndiqués et les militants, ou au bord d’un étang, Manon Ott nourrit son film de la parole, raisonnée, douce, révoltée ou chantée de ceux qui vivent là. Des luttes sociales du passé à la précarité des esclaves modernes, chômeurs et intérimaires, elle construit un discours collectif d’une intelligence absolue sur le monde du travail, loin des poncifs de la banlieue, de l’immigration et de la délinquance - ou plutôt, la résistance économique, comme dit l’un des protagonistes. Et quand au bout de la nuit cet ex-taulard qui a lu Karl Marx et Rimbaud en prison raconte son enfance de gamin de banlieue avide d’argent vite gagné, le feu qui couve révèle la puissance politique d’un film aussi sensible que subversif. » Céline Guénot Visions du réel

" Ici la périphérie est au centre et des territoires libérés s’inventent » chantait Hamé en 2009. Loin du misérabilisme et de la sociologie de comptoir souvent à l’œuvre dans les films sur la banlieue, Manon Ott nous entraîne ici dans un véritable voyage picaresque sur quelques kilomètres carrés. Photographié dans un noir et blanc graphitique, qui permet de lier dans un même geste, les luttes sociales des années 1960 et le gangsta rap des années 2010, le film circule entre ses personnages sans chercher à hiérarchiser ou étiqueter. Il s’agit avant tout d’établir une véritable poétique de la parole, qu’elle soit personnelle, militante, désabusée, amoureuse, musicale ou amicale.
Victor Bournérias – Entrevues, Belfort

De cendres et de braises arrache aux cités qu’il arpente de vraies étincelles, quelques éclats de voix bons à entendre, et plusieurs images pas si fantômes. Là où le feu brûle, là où la nuit est nocturne, le passage de quelques personnes devant une caméra qui se cherche donnera lieu à une constellation de récits et de harangues où s’expriment, toutes générations confondues, les expériences quotidiennes de la résistance et de la révolte.
Des grèves de l’usine Renault-Flins (dont Les Mureaux furent la cité-dortoir) en 1968 aux militants qui s’y établirent dans les années suivantes, puis des générations successives de travailleurs exilés au refus actuel, pour leurs fils, d’aller s’enchaîner à cette chaîne, De cendres et de braises esquisse d’abord tout un pan de l’histoire ouvrière de la ville, pour bifurquer vers d’autres combats et d’autres rêves … Fragments documentaires qui traquent le lyrisme partout où il se terre. Luc Chessel Libération

Manon Ott

Cinéaste ainsi que chercheuse en sciences sociales et en cinéma, née en 1982, Manon Ott vit et travaille à Paris. En parallèle de ses projets artistiques et de recherche, elle enseigne la photographie, le cinéma et les sciences sociales (sociologie/anthropologie visuelle) à l’Université. Depuis 2010, elle travaille avec les habitants des quartiers HLM de la ville des Mureaux en région parisienne, où elle a aussi habité. Elle y réalise avec eux De cendres et de braises (2018) et collabore au film La cour des murmures (2017) de Grégory Cohen, entre fiction et documentaire, sur les jeunes et l’amour dans la cité.

Propos recueillis par Vincent Wulleman Blog Médiapart

– Votre film dresse un portrait à la fois politique et poétique d’une banlieue en pleine mutation : Les Mureaux à côté de l’usine Renault de Flins. Il parle, à échelle humaine, d’un phénomène pourtant plus vaste : les transformations du monde ouvrier et la précarisation du travail. Les banlieues ne sont pas si souvent regardées sous cet angle. Pourquoi ce choix ?

Les banlieues sont souvent dépeintes comme des mondes à part, si ce n’est comme des lieux sans histoire. Le temps des médias est celui du présent permanent. Il me semblait au contraire important de les réinscrire dans une histoire sociale plus large – l’histoire ouvrière – et de faire sentir le poids de l’histoire collective. Il s’agissait de montrer combien les jeunes qui grandissent dans ces quartiers sont aussi les héritiers de cette histoire. Aux Mureaux, la plupart des jeunes que j’ai rencontrés sont des enfants d’ouvriers de chez Renault. Leur regard sur cette histoire m’intéressait. J’avais envie de m’interroger avec eux sur où en est-on du politique et de la révolte dans ces anciennes banlieues ouvrières qui ont été traversées par d’importantes luttes sociales. Je souhaitais tisser des liens entre l’hier et l’aujourd’hui, montrer certaines continuités et, en même temps, prendre la mesure de ce qui a changé. L’usine de Flins est passée de 23 000 ouvriers à moins de 4000 aujourd’hui, dont une bonne part d’intérimaires. En filigrane, le film aborde la question des mutations du travail. Mais c’est aussi un film qui raconte de façon sensible les rencontres que j’ai faites sur ce territoire pendant les six ou sept années que j’ai passées là-bas dans le cadre de ce film, de recherches et d’ateliers menés avec les habitants. Tout en faisant sentir combien les destins individuels sont pris dans les courants de l’Histoire, le montage du film, qui fonctionne par fragments, cherche à rendre compte de ces rencontres.


– L’aspect poétique du film est pluriel. Il s’inscrit aussi bien dans vos descriptions visuelles du territoire, dans la mise en scène de la parole de vos personnages que dans ce dont vous nous faites sentir de leurs univers sensibles. Les cités des Mureaux deviennent ainsi un territoire tissé de poésie et d’imaginaire. Comment cette dimension poétique du film s’est-elle construite ?

Si le film aborde des questions sociales et politiques, je ne souhaitais pas le faire de façon didactique. C’est pourquoi De cendres et de braises passe aussi par l’allégorie, le travail des motifs et des figures, à l’instar du récit autour du feu qui habite le film. Le travail de mise en scène visait d’abord à faire résonner autrement les paroles des habitants rencontrés aux Mureaux. Je pense que c’est aussi dans ces voix, que d’ordinaire on n’entend peu, que se joue quelque chose de politique. Je voulais donc chercher, par le cinéma, une façon de restituer l’intensité de ces paroles en même temps que les présences sensibles de ceux qui parlent. Avec chacun des personnages nous avons réfléchi ensemble à des mises en scène, choisi les lieux de tournage, comme pour cette séquence avec Momo autour du feu filmée une nuit durant ou pour les séquences tournées avec Yannick sur le toit d’une des tours de la cité. Le film s’est construit dans un aller-retour entre les univers sensibles de chacun des personnages – qui s’expriment pour certains par la littérature, le rap… – et l’univers que je construis moi-même au travers des images ou encore de la musique composée par Akosh S. – entre free jazz et sonorités lointaines – qui ré-ouvre elle aussi les imaginaires.

– Le noir et blanc, notamment, est un choix esthétique fort mais pas anodin. Quelle en est l’origine ?

En photographie comme en film, je travaille depuis longtemps le noir et blanc. Je trouve que le noir et blanc invite plus facilement à l’imagination.
Peut-être parce qu’il y a moins d’informations que dans la couleur. Ça amène quelque chose d’atemporel, d’onirique même parfois. L’univers mystérieux de la nuit dans lequel se déploie toute une partie de De cendres et de braises s’en trouve renforcé. Mais pour ce film en particulier, ce qui m’intéressait d’abord c’est que le noir et blanc participe d’une distanciation qui l’éloigne d’emblée d’autres images de ces espaces, et notamment des images d’actualité sur les cités. Cela me semblait important, pour ce film qui cherche à déplacer le regard et à rompre avec les représentations habituelles des banlieues et de ceux qui les habitent, d’opter pour des parti-pris formels et artistiques forts.