Discours de Thierry LETELLIER, Maire de La Villedieu - 23340 -
René ROMANET 1904-2000
Article mis en ligne le 28 avril 2006
dernière modification le 29 mai 2006

Le 6 octobre 2001 - Pose de la plaque René ROMANET-Place de la Mairie - Création de l’Association "MEMOIRE à VIF".

René ROMANET est né le 14 novembre 1904 au village du Mazeau à La Villedieu. Le 14 novembre 1908, sa mère décède à 28 ans, il en a 4. Son père quitte alors la ferme et reprend son métier de maçon à Faux la Montagne.
René et son frère vont habiter quelques années à Mercier Ferrier chez leur grand-mère.

En 1909, il rentre à l’école de La Villedieu.
En 1914, son père, alors Maire de la commune part à la guerre. Il sera blessé dans l’est de la France. René obtient le certificat d’études primaires et commence à travailler dans les fermes alentour.

11 novembre 1918, la première guerre mondiale est terminée mais les morts sont très nombreux. René ROMANET dans son livre, cite 10 jeunes hommes de Mercier Ferrier morts au combat, il cite aussi les statistiques de l’époque : les cantons de Royère et de Gentioux furent parmi les plus éprouvés du territoire national.

La grande guerre va marquer le jeune René à jamais. A 10 ans, son père est parti. Trois de ses oncles vont mourir. Il prend déjà conscience des vrais enjeux de cette guerre. C’est à cette époque que naîtront ses sentiments pacifistes et anti-capitalistes.

Ensuite, René en compagnie de son père et de son frère, est à Féchain dans le département du Nord où ils travaillent à la reconstruction. Il a 15 ans, c’est son premier contact avec la classe ouvrière qui dès lors sera la sienne.
Homme sensible, généreux, René côtoie l’injustice et l’exploitation. Dans l’ouvrage publié en 1988, "Le chemin d’un Prolétaire" il écrit : "en me prononçant pour une vie meilleure pour tous les travailleurs, j’ai maudit les guerres et le capitalisme, j’ai toujours oeuvré suivant mes possibilités à la victoire du socialisme défenseur des humbles".

En 1925, alors qu’il est au régiment, René apprend la mort accidentelle de son père pendant son travail.
Sa mère et Eugène, le jeune frère de René, n’obtiendront aucune réparation.

Ensuite, René ROMANET s’installe comme artisan charpentier à La Villedieu. En 1928, il se marie avec Alice BARBEZANGE. Ils ont un fils Henri puis une fille Marguerite.
1935 est une année d’élection. René est élu Maire le 19 mai.

Ensuite, c’est la guerre d’Espagne, le Front Populaire, la montée du Nazisme en Allemagne.

René crée un comité de défense antifasciste.
La seconde guerre mondiale est déclarée, il est mobilisé et part dans les Vosges. En 1940, quelques députés socialistes votent les pleins pouvoirs à Pétain. Il quitte alors le parti socialiste et adhère au parti communiste. De retour au village, il reprend la vie civile mais très vite et en compagnie de son épouse, il fournit de fausses pièces d’identité et cartes d’alimentation aux personnes recherchées par la Gestapo et la police Française.
C’est à cette époque qu’arrivent Mr et Mme FANTON, nommés aux postes d’instituteurs. Très vite, leurs idées et leur sensibilité politique commune font naître amitié et confiance entre les deux hommes. Les idées de la Résistance font leur chemin, les réfractaires au STO sont nombreux. Les bois de la région se peuplent de jeunes gens.
En janvier 1944, se créé le groupe de FTP légaux, La Villedieu-Nedde. Bientôt, fort de 56 volontaires, le groupe, sous les ordres du Colonel GUINGOUIN, est dirigé par Gaston FANTON, René ROMANET, André LESCURE, Marcel BARBEZANGE, Maurice MADOSSE.

26 décembre 1944, Alice ROMANET, gravement malade, décède.
Puis la guerre terminée, la vie reprend ses droits, ici. Mais déjà la République ressort ses armes pour défendre son empire colonial.

Comment les dirigeants de l’époque, dont certains avaient combattu l’occupant allemand, ont-ils pu, dès la fin du conflit mondial, se laisser entraîner dans de nouvelles guerres : Indochine d’abord, Algérie bien sûr. Comment ont-ils pu aussi vite oublier les horreurs nazis et bafouer la liberté, la fraternité, l’égalité et les droits de l’homme les plus élémentaires. En ayant un regard de colonisateurs, de missionnaires, apportant les bienfaits de la civilisation, les Français et leurs dirigeants n’ont pas voulu voir qu’ils traitaient avec des êtres humains.
Oui ! René ROMANET, Gaston FANTON, Antoine MEUNIER et tous ceux qui étaient avec eux, tous ceux qui les ont soutenus ont eu raison. Mille fois raison de réclamer la paix en Algérie et d’agir par ce geste symbolique du 7 mai 1956.
7 et 8 mai 1956, un camion militaire s’arrête à La Villedieu. Les jeunes rappelés manifestent leur opposition à la guerre. La population les soutient, d’autres arrivent des villages alentour. Le matin, gendarmes et CRS investissent le bourg. Interpellés FANTON et ROMANET sont amenés à Gentioux pour y être interrogés. René ROMANET déclare prendre l’entière responsabilité de la manifestation. Il apprendra vite qu’il est inculpé comme Gaston FANTON, Antoine MEUNIER et Michel FRANGNE, un des jeunes militaires.

FANTON sera incarcéré au fort du Hâ à Bordeaux pendant huit mois. Aussitôt, un comité de soutien se créa, de nombreuses pétitions circulèrent, des réunions accueillirent un public nombreux. Un élan de solidarité considérable grandit dans toute la région.

Mais rien n’empêcha la justice militaire de condamner lourdement : FANTON et ROMANET : trois ans de prison avec sursis et cinq ans de privation des droits civiques. MEUNIER : un an de prison avec sursis avec privation des droits civiques. Gaston FANTON fut également privé du droit d’exercer sa profession d’instituteur pendant cinq ans.
Des peines disproportionnées, injustes, une parodie de justice pour un procès politique.

Des peines cependant prévisibles à l’encontre de communistes, de pacifistes, d’anticolonialistes.
Car la République Française a toujours autant de mal à se pencher sur son passé colonial. Elle regardait la terre Algérienne comme une propriété foncière, comme un lucratif réservoir de pétrole et de gaz. Elle regardait le peuple Algérien comme une réserve de main d’oeuvre, calme et soumise.

Et lorsque ce peuple s’est soulevé, on a évidemment choisi la méthode la plus facile, la plus primaire pour briser cet élan : la répression puis la guerre.

Les dirigeants politiques d’alors ont remis leur pouvoir, leur mandat aux militaires. Et la plupart des gens ont détourné le regard et sont restés sourds à ce qui nous parvenait d’Algérie.

Il fallait être courageux pour s’opposer à cela. Beaucoup ont manifesté, parlé, écrit, pleuré, mais cette guerre a duré 8 ans.

– 8 années de tueries

– 8 années de villages brûlés

– 8 années de souffrance

– 8 années de torture, pour faire parler bien sûr, mais aussi pour faire taire, pour terroriser une population qui voulait sortir de la soumission.

Alors oui, ils avaient raison ROMANET, FANTON, MEUNIER, ils avaient raison de se battre contre l’ordre établi, la majorité silencieuse, consentante à la guerre d’Algérie, à la tuerie à Paris le 17 octobre 1961, quand les manifestants Algériens se sont fait massacrer par la police sous les ordres de Maurice PAPON.

Ils avaient raison mais ils ont payé cher, eux et leurs familles. Très cher cet engagement. Ils ont payé pour l’exemple, parce qu’on ne doit pas dire la vérité quand cette vérité fait mal à entendre, parce qu’on ne doit pas discuter les ordres, l’autorité militaire, les décisions politiques prises au sommet de l’Etat. On ne discute pas la grandeur de la France.

Et pourtant, la France a perdu la guerre, la France a perdu sa colonie, ses enfants, Algériens, Français, qui sont morts là-bas. Et elle a perdu sa voix. Rien dans les manuels scolaires sur son aventure coloniale, quelques lignes sur les "évènements", l’indépendance Algérienne. La République a raté la décolonisation de l’Algérie. Elle a aussi raté les quarante années de relations Franco-Algériennes qui ont suivi.

Du chaos, de la guerre, naissent rarement les démocraties. L’Algérie est devenue un partenaire paradoxal : amitiés, haines, proximité, éloignement, protection. L’Etat Français a soutenu parfois son homologue Algérien dans ce qu’il avait de plus contestable. Et une fois de plus, nous nous sommes éloignés des femmes et des hommes d’Algérie. Quand ces immigrés sont venus s’installer chez nous, on les parquait dans les bidonvilles, puis dans des foyers de sinistre mémoire.

Non ! La France n’en a pas fini avec son passé Algérien. Il suffit d’écouter ce qui se dit et ce qui se fait dans nos banlieues aujourd’hui, pour comprendre le travail qu’il nous reste à accomplir.

A La Villedieu, ce travail a commencé. Tard, trop tard, mais il est en route. Il fallait une ingérence extérieure, un aiguillon pour que près de quarante ans après nous reprenions conscience. Alors merci à toi, Danièle RESTOIN, merci à vous les élèves du Lycée Marcel PAGNOL, de nous avoir remis ces évènements en mémoire. Merci aux acteurs et témoins de l’époque et merci à Daniel MERMET qui a amplifié l’écho de ces témoignages. Mais notre travail ne s’arrêtera pas là.

Ce matin, nous avons créé l’association "MEMOIRE A VIF" qui a pour premier objectif d’obtenir la réhabilitation politique de ROMANET, FANTON et MEUNIER.

Quarante ans après, nous voulons entendre la France et ses responsables demander enfin pardon, d’abord et surtout au peuple Algérien. Nous voulons aussi l’entendre demander pardon à ces gens qu’elle a condamnés à tort. Nous voulons qu’elle écoute tous ces hommes qui ont aujourd’hui 65-70 ans et qui sont revenus d’Algérie, traumatisés, parfois anéantis à cause de ce qu’ils avaient vu, à cause de ce qu’on leur avait fait faire là-bas.

Après quarante années de silence, de refoulement, la parole est de retour, le débat est d’actualité, il est enfin public. Beaucoup de ces appelés veulent témoigner, se libérer du poids qu’ils ont sur la conscience. Eux aussi veulent demander pardon à l’Algérie. Eux aussi réclament que l’Etat Français prenne ses responsabilités, reconnaisse ses erreurs du passé. Alors n’attendons plus ! Notre pays ne fera pas l’économie d’un retour sur son histoire s’il veut sortir du néo-colonialisme, s’il veut intervenir sur le processus d’intégration actuel et appréhender autrement le monde qui l’entoure.

Il est grand temps d’effectuer le travail de mémoire qui permettra la réconciliation entre les deux peuples, entre les deux pays, entre nous.

L’Algérie est un pays si différent mais si proche, nos liens culturels, sociaux, sont si profonds qu’aujourd’hui nous nous devons d’agir avec détermination et enthousiasme pour mettre en place de nouvelles relations. Battons-nous contre ce réflexe si facile, ce repli sur soi, ce regard malsain sur l’autre qu’est le racisme.

Et méditons en ces temps troublés le message de ROMANET, FANTON et MEUNIER, ils ont été condamnés parce que plutôt que la violence et la guerre, ils prônaient la fraternité, la paix entre les hommes


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