GRAND PRIX DE LA COMPÉTITION FRANÇAISE AU FID de MARSEILLE 2020
Version originale : dari, anglais. Sous-titres français 58mn
Image et montage : Lech Kowalski. Son : Thomas Fourrel. Avec : Ken Metoxen
Production/Distribution : REVOLT CINEMA (Odile Allard).
Synopsis :
Ken, Amérindien, vivant dans une réserve du nord des Etats-Unis depuis toujours, découvre Paris, parcourant inlassablement la ville, à la rencontre de réfugiés afghans cantonnés dans des abris de fortune, près du périphérique de la capitale.
Lech Kowalski :
Il a popularisé la lutte des GM&S qu’il a emmenés jusqu’au Festival de Cannes avec « On va tout péter ». Mais dans les années 80/90, c’était déjà une star du cinéma underground américain, et en 2005 il reçoit le prix du meilleur documentaire au Festival de Venise pour « East of Paradise » que « Le Monde » qualifiait de film qui frappe, dérange, cogne, donne à réfléchir et à penser. La France le découvre vraiment en 2006 au FID de Marseille puis en 2007 lors des Rencontres Internationales de cinéma de Paris où il est l’invité d’honneur.
Lech Kowalski parle de son film :
L’idée du film est née du besoin de repousser les frontières du cinéma de fiction, et de ce qu’il pourrait être. J’en ai vraiment marre des films qui explorent des sujets afin de m’expliquer quelque chose. Je n’ai pas envie d’expliquer quoi que ce soit. Je veux juste montrer les choses sous un angle qui soit nouveau pour l’œil, les sens et l’esprit ; je veux surprendre les gens et leur montrer que les choses ne sont pas telles qu’ils les perçoivent, parce qu’en réalité la plupart des gens ne voient que ce qu’ils ont envie de voir. La plupart du temps, ils évitent de s’attarder sur des lieux ou des choses qui les rendent mal à l’aise, et de ce fait, ces gens vivent dans un cocon d’ennui…
Je n’avais pas pour objectif au départ d’attirer l’attention sur la situation des Afghans. Ça s’est fait naturellement. Ils m’ont fait voir les choses sous un angle nouveau, comme Ken. Ils m’ont ému. Ils ont ému Ken. Ils sont victimes d’atrocités similaires à celles qu’ont subi et que continuent de subir les Amérindiens. Nous nous en sommes rendu compte pendant le tournage. C’est la magie de la tragédie. Vous savez, c’est une bonne chose d’être un outsider. On comprend tellement mieux la vie quand on n’a pas de chez soi. Quand on vous l’a enlevé pour que des millions d’autres puissent avoir une vie confortable à vos dépens. C’est de cela que parle cette histoire...
Je cherche des manières de regarder les choses, de cadrer, de réagir, et je ne veux pas qu’un filtre se mette en travers. Parfois je réfléchissais trop quand nous tournions avec Ken, et c’était horrible. Ça m’est arrivé plusieurs fois, et ça m’a empêché de filmer une scène qui aurait pu être géniale. Rester sur le qui-vive, être prêt à cadrer et à filmer même l’espace d’une seconde, c’est tout ce qui m’importait. Plus tard au montage, j’ai dû déterminer ce qui était bon à utiliser ou non, mais ça n’avait rien à voir avec l’idée qu’on se fait d’un bon ou d’un mauvais contenu. Ce qui importe, c’est de capter l’énergie. Au fond, c’est tout ce qui m’intéresse. L’honnêteté, la franchise, et l’énergie avant tout....
Ce qui m’intéresse, quand je filme, c’est la chorégraphie de l’action. Je ne cherche pas à « faire des plans », j’essaie de filmer en anticipant les mouvements, l’action suivante, en suivant constamment mon instinct : « Vers où ça va aller ? » Un peu comme le fait un joueur de basket. Il doit pressentir où la balle va partir pour avoir un petit temps d’avance sur l’action. Et si parfois je suis un peu en retard, il me faut rattraper le mouvement, sans cesse aller, venir… ce qui crée une sorte de chorégraphie.
Je ne pense jamais, quand je filme, parce qu’il est trop tard pour penser. Pour moi, le tournage, c’est l’émotion. L’intellect intervient au montage. Comme c’est moi qui monte mes films, j’essaie de tourner d’une certaine façon qui me permette de ne pas avoir de coupes sèches dans une séquence. J’essaie donc de réaliser une chorégraphie avec la caméra aussi pour avoir mes plans de coupe pendant l’action. C’est le même genre de mise en scène qu’en fiction. À vrai dire, ce film est structuré comme une fiction grâce à la manière dont je filme, aussi.
Un point de vue critique :
Lech Kowalski nous aura, de longues dates, habitués aux mouvements. Ceux de la rue, des punks, des fétichistes, de sa mère, des paysans polonais, des grévistes : la liste est longue, c’est celle, presque sans fin, d’une humanité reléguée. Mais est-ce une habitude ? Surtout pas, l’effet plutôt d’une caméra restée indomptée. Et nous, soumis à ses ruades, à ses roueries, à ses rébellions, à ses rages, à ses cris du cœur, on en prend plein les yeux et ça fouette l’âme. Cette fois encore, l’idée est simple : faire le remake d’ « Un américain à Paris ». Mais, précisons, en guise d’ « américain », ce sera un Indien, casquette de baseball arborant le slogan : « native pride » ; et en guise de Paris, ce sera ces « zones », aux bords de routes de la capitale, traversées de sans-abris, de migrants venus du monde entier. Y danse-t-on ? Ça se peut. Un boxeur croisé à la soupe populaire ne cesse de parler en bougeant façon shadow boxing. Et puis notre native, il marche, il ne cesse de mettre une basket devant l‘autre, pressé, toujours dans l’urgence à se déplacer, presque à courir. Et aussi, la caméra de Lech, chien fou, fait de brusques panoramiques sans motif, quitte son sujet, cherche un cadre plus vaste, le ciel, les routes. Ici, rien ne tient en place, et ce n’est pas la moindre des surprises que d’écouter l’Indien parler des conditions de vie des migrants qu’il croise comme l’image exacte de celles que son peuple, avant de presque disparaître il y a bien longtemps, a connues. C’est sans doute cette liberté de circuler dans la cruauté qui autorise un final qu’on taira ici, déplacement supplémentaire et refus d’assignation. C’est Kowalski, à nouveau.
(J-P.R.)