Soirée organisée en partenariat avec Peuple et Culture Corrèze
Présentation/Débat : Federico Rossin, historien du cinéma

France / Sénégal - 1966 - 1h Ressortie le 9 octobre 2024 Version restaurée 4K
Avec Mbissine Thérèse Diop, Anne-Marie Jelinek, Robert Fontaine
Prix Jean Vigo 1966

Présentation du film par Federico Rossin :

Adapté d’une nouvelle du recueil Voltaïque d’Ousmane Sembène, elle-même inspirée d’un article de Nice-Matin, il s’agit du premier long métrage de fiction tourné par un Africain. Ce n’est pas encore un film entièrement africain (la langue est le français, une grande partie du décor se déroule sur la Côte d’Azur), mais une partie de la production (la toute nouvelle société Domireew), les techniciens, la musique et la moitié des acteurs sont africains.
La Noire de... suit l’histoire de la jeune Diouana, attirée en France par un couple bourgeois qui l’engage comme bonne et la maintient à l’écart dans leur appartement. L’humiliation constante de Diouana lui fait littéralement perdre sa voix. En soulignant son silence, commun à tous les opprimés du monde, Sembène révèle l’immense dignité de la jeune fille et, dans le final, sa force.
Si visuellement le réalisateur s’inspire de la Nouvelle Vague française (dans un film sur les différences ethniques et sociales, la photographie en noir et blanc prend une force particulière) et spirituellement du néo-réalisme, l’âme du film est profondément africaine. Sembène est le premier à utiliser la caméra - qui jusqu’à présent n’avait servi qu’à avilir le peuple noir - pour placer les Africains au centre du regard.

Autres points de vue :

"Le film majeur d’Ousmane Sembène sur la tragédie d’une domestique sénégalaise employée par des Français ressort en salles, dans un climat où plusieurs œuvres subissent les campagnes de dénigrement de l’extrême droite.
Un film pionnier doit toujours soigner son entrée. La règle veut aussi qu’il arrive comme un boulet de canon. Il y a presque soixante ans, le premier long métrage d’Ousmane Sembène, référence majuscule et fondatrice pour le cinéma africain, a fait les deux. Peu de chances d’oublier la première impression laissée par La Noire de… " Libération 9/10/2024

"Il ne faut pas manquer l’occasion de découvrir en salle, et en version restaurée, La Noire de…, prix Jean-Vigo 1966, coup d’essai et chef-d’œuvre du grand cinéaste sénégalais Ousmane Sembène (1923-2007). On parle généralement de ce film comme de l’acte de naissance du cinéma africain subsaharien, bien que son importance dépasse son seul statut historique. Voilà en effet une fable cinglante, qui a la concision d’une nouvelle et la force de frappe du fait divers, et qui, bien loin de jeter sur l’Afrique le regard attendu (sensibilisation et bonne conscience), vise au cœur de l’impensé colonial et du rapport de force métabolisé dans le quotidien.
Pour cela, on pouvait compter sur Sembène, qui, avant de s’emparer de la caméra, avait connu d’autres vies de combat : tirailleur dans l’artillerie coloniale, docker et syndicaliste à Marseille en 1946, militant anticolonial, enfin romancier autodidacte et reconnu, y compris par l’intelligentsia parisienne, avant d’apprendre le cinéma au VGIK, la célèbre école de cinéma soviétique, à Moscou, pour toucher plus de monde.
Dès son titre, La Noire de… a quelque chose de tranchant et d’énigmatique, suspendu à son complément d’appartenance qui laisse le spectateur au bord du vide, l’invitant à compléter par lui-même." Le monde