« C’est fini le cinéma. Là, c’est du vrai »
Ils n’ont pas monté les marches à Cannes. Ils ne les monteront jamais. Ils ne feront pas non plus pleurer Margot. Trop irrécupérables. A la marge de la marge. On les croise parfois dans la rue sans les regarder. On les appelle avec mépris « les punks à chiens » et Karim Dridi leur a consacré un film, « Fainéant.es », actuellement visible à Limoges. Un film entre documentaire et fiction. Juste, vrai, humain. On y suit deux filles, Djoul et Nina, qui tracent la route dans un vieux camion aménagé. On partage leur voyage, leur choix de vie qui met à mal la valeur travail, leurs petites arnaques, leurs fêtes, leur colère, leur refus de jouer le jeu où on veut les assigner. L’accordéon de Djoul, la musique punk et Colette Magny* accompagnent leur balade buissonnière. Karim Dridi fuit les stéréotypes attendus. En rupture totale avec le conformisme ambiant qui règne dans le cinéma français, il mène sa barque sans faire aucune concession. Depuis son premier film en 1994, « Pigalle », il a choisi de parler, sans misérabilisme ni angélisme, de celles et ceux qu’on préfère laisser hors-champ car infréquentables. Et il prend le temps de partager leur vie avant de réaliser ses films. Pour « Fainéant.es », c’est dix ans de travail pour entrer dans ce monde que lui a ouvert Faddo Jullian, l’une des deux filles, Nina, qui y vit. Dix ans à créer du lien avec ses acteurs, pour la plupart non-professionnels comme toujours et choisis dans ce milieu. Dix ans à chercher des financements. Pour une sortie confidentielle. Sans surprise de sa part : « Je suis entré dans le cinéma français par effraction, en autodidacte, j’ai pris l’habitude que des gens comme moi ne soient pas invités à la grande table, pas sollicités par cette grande famille ». Une raison supplémentaire de soutenir ce film…
Karim Dridi lors de la présentation de "Chouf !" à Limoges
*« Les Tuileries » texte de Victor Hugo chanté par Colette Magny (extraits)
Nous sommes deux drôles,
Aux larges épaules,
De joyeux bandits,
Sachant rire et battre,
Mangeant comme quatre,
Buvant comme dix.
Quand, vidant les litres,
Nous cognons aux vitres
De l’estaminet,
Le bourgeois difforme
Tremble en uniforme
Sous son gros bonnet.
La vie est diverse
Nous bravons l’averse
Qui mouille nos peaux
Toujours en ribote
Ayant peu de botte
Et point de chapeau
Nous avons l’ivresse,
L’amour, la jeunesse,
L’éclair dans les yeux,
Des poings effroyables ;
Nous sommes des diables,
Nous sommes des dieux !