Il était une fois un instituteur pas tout à fait comme les autres, inventant avec les enfants qui ont « des lapins dans la tête » d’autres manières d’enseigner.
C’était aussi un amoureux du cinéma qui filmait sa ville, Marseille, et ceux que l’on appelle les « petites gens ». Justement, en 1950, les dockers s’étaient mis en grève car ils refusaient d’embarquer du matériel militaire pour l’Indochine, alors colonie française, et Paul Carpita les avait filmés clandestinement. Puis il s’était servi de l’événement comme toile de fond à une histoire d’amour pour son premier long métrage « Le rendez-vous des quais ».
On est en 1955 : à l’Indochine a succédé l’Algérie, et il ne fait pas bon s’opposer à la politique coloniale de la France. Dès la première projection, le film est saisi, les copies détruites, Carpita arrêté. Quasiment personne pour défendre un réalisateur qui a le tort de ne pas faire partie du milieu parisien du cinéma ! Il lui faudra attendre 1990 pour que le film réapparaisse et qu’on commence à prendre au sérieux ce cinéaste atypique.
Profondément meurtri par une telle injustice qui l’a relégué dans l’ombre pendant 35 ans, Paul n’en a pas moins continué à réaliser des courts et moyens métrages, libres et généreux, d’une étonnante jeunesse. Et à 67 ans, enfin réhabilité, reconnu, il se venge du temps perdu en signant plusieurs films aux titres qui en disent long : « Marche ou rêve », « les Homards de l’utopie »...
A Mémoire à Vif, nous avions accueilli Paul plusieurs fois et nous avons toujours été conquis par sa générosité, sa modestie, sa capacité à toujours s’émerveiller et à nous émerveiller. Pas plus tard que le 17 octobre dernier, nous avons partagé ses rêves en projetant au Théâtre de l’Union « Des lapins dans la tête ». Sa disparition nous laisse désemparés. Mais il nous accompagnera encore longtemps avec ses films qui nous donnent le désir de continuer à nous battre pour un monde plus juste.